vendredi 24 août 2018

Espaces inexplorés, territoires à explorer ?

Deux fois par an, l'été et à Noël, Echoradar propose à ses lecteurs des articles originaux autour d'un thème particulier. Le choix du dossier estival 2018 s'est porté sur les "territoires". C'est dans ce cadre que j'ai écrit puis publié l'article ci-dessous.
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Sans doute la question ainsi posée interpelle : un milieu inexploré doit-il impérativement être exploré ? Et, par la magie de la sémantique, comment un espace devient-il un territoire ? Au-delà de cette double interrogation géographique, spatiale et philosophique, l’idée de cet article est de parcourir trois espaces méconnus qui environnent l’espèce humaine et en façonnent sa destinée : les fonds océaniques, l’espace et le cyberespace.


Avec pour particularité pour ce dernier d’être entièrement artificiel, fruit de l’imagination de notre espèce, devenu un domaine hybride (virtuel et réel) au fil des évolutions techniques et technologiques successives.

Des abysses…
Lorsque l’on évoque les abysses océaniques, la plupart d’entre nous possèdent deux références communes devenues quasi universelles : le film à grand spectacle « Abyss » [1] de James Cameron et surtout les images de ces bathyscaphes [2] plongeant dans le noir glacial des océans, popularisées par Jacques-Yves Cousteau dans les années 1970. C’est d’ailleurs en 1977 qu’une plongée va mettre en évidence la présence « d’oasis de vie » à très grande profondeur : les cheminées hydrothermales [3] ou « fumeurs ». 


Alimentant les océans en chaleur et en minéraux (fer, zinc, manganèse, soufre, etc.), elles permettent une vie riche et complexe à grande profondeur. Les systèmes hydrothermaux sont localisés à des profondeurs variant entre 700 et 4 000 mètres et généralement situés dans des zones de forte activité tectonique. Sur les 60 000 km de dorsales océaniques que compte le globe terrestre, seules quelques centaines de kilomètres ont été explorées à ce jour.

Actuellement, plus de 75 % des zones très profondes, c’est-à-dire en dessous des 4000 mètres, restent inexplorées [4] et les profondeurs des océans restent inconnues à 95 %. Les grands fonds sont cartographiés avec bien moins de précision que la Lune et davantage d’hommes sont allés dans l’espace qu’au plus profond des océans. Au-delà de l’aspect controversé de l’exploitation des monts hydrothermaux ou des nodules polymétalliques [5], l’exploration des abysses océaniques pourrait permettre également de préparer de futures missions spatiales notamment à destination de deux des lunes de Saturne, Encelade [6] et Europe [7], qui semblent disposer d’un océan d’eau voire de geysers sous-marins sous leur épaisse surface glacée.

…à l’espace…
A l’échelle de temps humaine et, particulièrement, de l’industrie moderne (à peine trois siècles [8]), l’acquisition des capacités techniques permettant d’envoyer des engins dans l’espace puis des êtres humains est très récente (une petite soixantaine d’années). Depuis, plusieurs stations en orbite terrestre basse ont été utilisées, des hommes ont été envoyés sur la Lune, et des dizaines de sondes pilotées et/ou automatiques ont été expédiées [9] dans l’espace lointain. Soit la proche banlieue terrestre car l’objet humain actuellement le plus éloigné de la Terre, la sonde Voyager I lancée comme sa jumelle en 1977 [10], aurait quitté mi-2012 l’héliopause c’est à dire la zone d’influence du Soleil !



Les prochaines étapes à court-terme c’est-à-dire les deux prochaines décennies devraient voir le retour d’humains sur la Lune avec notamment un projet [11] de base permanente. Qui pourrait aider à préparer le difficile voyage martien, saut de puce à l’échelle de notre environnement solaire.
A très long terme, si l’humanité se survit à elle-même, l’homme se lancera sans doute dans des missions d’exploration profondes et de très longue durée (des dizaines voire des centaines d’années). La cryogénisation des humains, la haute-vitesse des vaisseaux propulsés par une énergie quasi-inépuisable et la capacité de produire de manière autonome eau et nourriture seront les conditions [12] minimum nécessaires pour réussir ces odyssées vraisemblablement sans retour. Qui auront pour objectif double d’explorer notre environnement spatial de plus en plus loin et d’assurer la survie de l’espèce en essaimant des groupes de « naufragés spatiaux volontaires ».

…jusqu’au cyberespace.
Si ces dernières années beaucoup a déjà été dit, écrit et pensé sur le cyberespace, son champ d’exploration reste cependant ouvert et pour ainsi dire sans limite à mesure qu’il croît et évolue. Il possède « des propriétés à la fois réelles et virtuelles, tangibles et intangibles, fixes et spontanées, durables et éphémères » et se pare, pour ainsi dire, de « caractéristiques fascinantes et d’une certaine façon magiques : ubiquité, polymorphisme, mutabilité » [13]. C’est ce côté presque magique que je souhaite ici continuer à explorer, aux frontières de la prospective et de l’imagination. Car, en effet, rien n’interdit de penser que le cyberespace du futur pourra être un jour parcouru « en vrai » !


Comment ? En couplant nos cerveaux organiques à ce domaine de transmissions électroniques c’est-à-dire d’impulsions électriques. C’est le pari fou et majoritairement considéré comme insensé porté par un certain nombre de « techno-gourous » de la Silicon Valley [14], fascinés par le courant appelé transhumanisme [15]. Ce rêve ancestral de la vie éternelle, d’abord par des méthodes chimiques et mécaniques d’accroissement de la longévité, ensuite par le basculement de ce qui fait l’être humain, ses pensées, ses émotions, son intelligence, etc. dans un corpus dématérialisé et électronique n’est pas chimérique, en théorie.


Si la littérature de science-fiction et de nombreux films d’anticipation permettent à notre imagination de voyager loin, les prochaines avancées technologiques et la transposition de ces rêves / cauchemars pourraient en permettre la concrétisation. L’ultime frontière de la fusion de l’organique et de l’informatique voire du basculement de l’organique vers le tout numérique viendrait alors bouleverser l’humanité. Pour le meilleur et sans doute, aussi, le pire.

Conclusion…à explorer !
De ses premiers pas originels dans la grande vallée du Rift [16] en Afrique il y a plusieurs millions d’années jusqu’à ceux du 21 juillet 1969, historiques et filmés, sur la Lune, l’espèce humaine a toujours été mue par un sentiment irrépressible, et sans doute génétique, d’explorer son environnement proche puis de plus en plus éloigné. Une constante parfaitement résumée par Constantin Tsiolkovski [17] qui pensait que « La Terre est le berceau de l’humanité mais on ne passe pas sa vie entière dans un berceau ».

Références
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Abyss_(film)
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Bathyscaphe
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mont_hydrothermal
[4] https://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/03/26/fonds-marins-75-des-zones-tres-profondes-restent-inexplorees_1676015_1650684.html
[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Nodule_polym%C3%A9tallique
[6] https://www.sciencesetavenir.fr/espace/systeme-solaire/encelade-la-lune-de-saturne-propice-a-la-vie-ca-se-confirme_101814
[7] https://www.franceculture.fr/emissions/le-journal-des-sciences/le-journal-des-sciences-du-vendredi-18-mai-2018
[8] http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/r%C3%A9volution_industrielle/61047
[9] https://i.redd.it/bnaw76c2hwc11.jpg
[10] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/09/05/sondes-voyager-visualisez-quarante-ans-de-periple-spatial_5181314_4355770.html
[11] http://www.esa.int/fre/ESA_in_your_country/France/Un_village_sur_la_Lune
[12] https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/voyage-spatial-vers-linfini-et-au-dela
[13] Voir E. Hazane « De la stratégie intégrale aux méta-réseaux » paru dans l’ouvrage collectif sous la direction d’Olivier Kempf « Penser les réseaux, une approche stratégique » en septembre 2014 aux éditions L’Harmattan : http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=44237
[14] https://www.lesechos.fr/25/10/2017/lesechos.fr/030775948304_les-gourous-de-la-tech-pensent-ils-vraiment–.htm
[15] http://histophilo.com/transhumanisme.php
[16] http://www.museedelhomme.fr/fr/serait-il-possible-decouvrir-origines-homme-dehors-region-grand-rift-africain
[17] https://www.techno-science.net/?onglet=glossaire&definition=2775

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